Récit d’aventure
7h50 Il faudrait bien que je mette un peu de crème solaire, et que je remplisse le sac sur le tube supérieur de mon vélo d’un peu de bouffe. Lyne m’attend déjà sur la ligne de départ, mais elle doit être en train de terminer une entrevue.
Retour en arrière, fin juin 2020, quand je reçois un texto de celle qui était alors député de Brome-Missisquoi : «...Salut, serais tu partant pour faire un 500k de Gravel le 15 août?...». Ma réponse : « on va où? Pis on part à quelle heure?». Cinq cent kilomètres de vélo, c’est une bonne semaine d’entraînement, mais quand l’idée est de le faire en moins de 24h, ça ajoute un peu au défi, ça sera donc l’histoire de ces prochaines lignes.
Dany et Martin, nos compagnons d’aventures habituels, seront aussi de la partie. C’est d’ailleurs avec eux que Lyne avait prévu que nous roulions cette première édition du Gravel Bike Challenge 500, sur les magnifiques chemins de terre battue des Cantons de l’Est.
L’organisation nous fournit un plan du parcours et les différents points de contrôle. Nous établissons ainsi des points stratégiques, comme des restaurants ou dépanneurs, où nous pouvons nous ravitailler en eau et nourriture. Comme notre objectif est de parcourir la distance d’un seul trait, nous partons avec le stricte minimum, réparti dans quelques sacs fixés sur nos vélos.
La journée s’annonce magnifique, Le Soleil est fort, il fera chaud. Le parcours est à l’image de celle que l’on se fait de ce coin de pays : de belles côtes et collines, des vallons à volonté. Ça va gicler dans la bosse. Et c’est un peu ce qui est arrivé quand après environ 100km, Martin fut victime d’un bon coup de chaleur. Motivés d’un trop plein d’enthousiasme à l’idée d’une telle épopée, nous avons roulé à un rythme trop rapide. La chaleur accablante combinée au dénivelé plus que positif du premier quart de ce parcours vinrent à bout de notre costaud de service. De toute évidence, il traverse un mauvais moment, et nous devons déjà prendre une décision difficile.
Nous décidons alors de poursuivre Lyne et moi, laissant Dany et Martin derrière. Ils compléteront à un rythme plus cool, et nous pourrons remettre du charbon dans le foyer. Il reste 350 km à faire, environ 6h de clarté avant d’avoir à sortir les lumières, pas le temps de niaiser.
Je me retrouve donc seul avec mon olympienne préférée et on fonce tête baissée, chacun sachant ce qu’il devait faire. Mis à part un moment sur la piste L’Estriade, ancienne voie ferrée maintenant asphaltée, où un vent de face et une pente à moins de 4% nous apparurent comme un défi digne de l’Everest, nous avalons les kilomètres à bonne vitesse, sans anicroches, profitant de la beauté du comté.
Il y a 7 points de contrôle au fil de l’aventure, nous devons prendre un autoportrait à chacun d’eux. Malgré les heures qui s’accumulent, nos sourires surpassent les traits tirés par la fatigue. À chaque point nous attend une surprise : galette délicieuse, savon local (on en aura bien besoin plus tard), sandwich et tartelette sont tous des fabuleuses additions à cette journée bien remplie. C’est vers 21h que nous atteignons la ville de Richmond où nous attend un smoke meat, couronnant près de 300 km en selle.
Après la canicule du jour, la température est plus fraîche, mais les jambes un peu moins. C’est là que je décrète l’heure d’un «nettoyage de camping», dans la salle de toilette du bar. On en profite pour enfiler un cuissard et un maillot propre. La transpiration et la poussière nous ayant gommés et laissés dans un état plutôt moribond, répartir dans des vêtements propres a un effet revigorant. Vivement une petite brassée, même pas besoin d’assouplisseur.
Un arrêt au dépanneur du coin nous permet aussi de faire le plein d’eau, de chips et d’amandes salées. La santé mentale prend parfois le dessus de la logique dictant la santé nutritive… bien que nous ne le sachions pas à ce moment, c’était le dernier ravitaillement auquel nous aurions droit avant la fin de la balade.
Rouler dans le noir est une expérience que tout cycliste devrait expérimenter. Éclairé d’un faisceau clair, mais limitant tout de même l’amplitude du champ de vision, on vit des moments grisants et uniques. Nous roulons dans le calme de la nuit, croisant quelques ratons, et autres yeux lumineux sur les bords des chemins. Tout cela a un côté zen et méditatif hors du commun.
Vers 3 heures du matin, Lyne me dit qu’elle commence sérieusement à cogner des clous, on l’aurait fait pour moins après 19h de vélo. Nous ralentissons sérieusement, incapables de pousser sur les pédales. Elle courre à côté du vélo pour tenter de rallumer la flamme. De mon côté, chaque fois que je mets le pied à terre pour attendre, je suis étourdis au moment de repartir. -Tour de contrôle, nous demandons l’autorisation d’atterrir.
C’est comme ça qu’au milieu de nul part, nous décidons de prendre une pause, je remarque un parc sur le bord d’une rivière. Au croisement du Chemin Boynton et du sentier Tomifobia, nous déposons nos montures pour une sieste de trente minutes, elle assise appuyé à un arbre, moi couchés en boule, directement sur le sol.
Le moment est stratégique, quand nous repartirons, l’aube se pointera et nous pourrons alors apprécier les doux rayons du soleil et la lumière du jour, qui se lève une deuxième fois lors de cette même sortie. La rosée et la brume du matin, couvrant lourdement les champs des fermes que nous traversons, donnent un aspect irréel à ce moment magique.
Nous grelottons tous les deux, déterminés à nous réchauffer en pédalant plus fort. C’est là que l’on constate que nos réserves de nourriture sont vides, mais qu’il reste tout de même plus de 50 kilomètres à parcourir, avec plus 700 mètres d’ascension. Si d’habitude je dis que faire des côtes permet de rouler plus longtemps et que j’aime ça, après 450 km, c’est peut être légèrement superflu, en témoignent les quelques mots d’Église prononcés par ma partenaire. Je ne crois pas que ç’eut été toléré à l'assemblée nationale.
Nous franchissons finalement la ligne d’arrivée près de 24h après notre départ, la veille… Toute qu’une randonnée! La plupart des 70 participants divisant la distance à parcourir en trois grosses journées, on peut dire que c’était «une pas pire journée au bureau». Et si vous pensiez que passer 8h assis à un bureau était dur sur la nuque et le popotin, imaginez une vingtaine d’heures sur un siège de vélo. Le pire c’est que l’on recommencerait demain, allez comprendre pourquoi… oh, et pour fermer la boucle, j’ai bel et bien eu le temps de mettre de la crème solaire avant de partir.